Xavier Mathias, formateur en maraîchage biologique et techniques potagères pour Fermes d’Avenir, mais aussi à l’école du Breuil et au Potager du Roi à Versailles, nous gratifie d’un livre dans lequel il nous conte ‘L’histoire ‘un petit paysan qui avait la migraine à force de marcher sur la tête et celle des autres’. Interview.
« Au coeur de la permaculture» : un livre pour l’agriculture de demain
Ancien maraîcher indépendant en bio pendant une dizaine d’année, Xavier Mathias a pu prendre la mesure des dérives du modèle agricole contemporain. Dans son nouvel ouvrage intitulé « Au coeur de la permaculture », il livre son expérience personnelle, se remémore les efforts fournis alors pour, finalement, ne pas être cohérent dans sa démarche de production, et le fil des ses réflexions qui l’ont conduit à changer de voie et à se convertir à la permaculture.
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La permaculture, ce n’est pas un métier
Il en résulte un constat : il s’est « trompé en croyant qu’il y avait deux agricultures, la bio et la conventionnelle » et pense à présent que la distinction réside dans les différences entre une agriculture commerciale et une agriculture nourricière.
Nous l’avons interrogé pour en savoir plus.
consoGlobe.com – D’après vous, comment passer de l’agriculture moderne à un nouveau modèle viable et pérenne pour la société, comme pour les agriculteurs ?
Xavier Mathias : on a construit notre système agricole actuel sur un énorme mensonge, qui consiste à trouver une excuse à l’agriculture ultra mécanisée : dans les années 50, la France avait faim, il fallait produire intensivement… Or les derniers tickets de rationnement en France c’est 1948, et le boom de l’agriculture intensive c’est dans les années 70 !
Pour avoir un schéma agricole viable, il faut sortir de cette dérive, revenir à une polyculture qui a toujours été pratiquée jusqu’aux années 60, quand les agriculteurs produisaient un peu de céréales, un peu de boeuf ou de cochon… mais pas que des cochons, ou que du boeuf… ou que du blé sur 400 hectares ! C’est marcher sur la tête : les paysans d’avant le savaient bien : si on dépend d’une seule culture, d’une seule production, on se rend totalement dépendant d’une mauvaise récolte, d’une mauvaise saison…
consoGlobe.com – On parle beaucoup de l’interdiction du glyphosate, que pensez-vous de la récente décision de l’UE, qui vient de l’autoriser pour 5 années supplémentaires dans l’Union Européenne ?
Xavier Mathias : pour moi, ce n’est pas du tout un drame qu’il ne soit pas interdit : je me le suis interdit depuis longtemps dans mes pratiques et dans mes achats ! On ne devrait pas attendre que le politique intervienne : si on est nombreux à se l’interdire, il va disparaître de fait, sans besoin de faire des lois. C’est la pression de la société civile qui fera bouger le monde. Si l’UE a pris cette décision, c’est que la pression n’est pas assez forte pour l’instant, donc le modèle économique tient le choc !
consoGlobe.com – La permaculture peut-elle apporter des solutions de remplacement ?
Xavier Mathias : bien sûr, les solutions techniques, on les maîtrise déjà, et elles sont nombreuses. Le glyphosate est quasi-exclusivement utilisé sur des cultures céréalières et on peut parfaitement les cultiver sans lui, la preuve : l’existence du pain bio !
Mais pour généraliser une production bio sans glyphosates, il faut que le consommateur oublie sa baguette fraîche, qui sèche trop vite, qui contient trop de gluten… et qu’on ne peut produire dans les quantités actuelles sans glyphosates ! Là encore, c’est à la société civile de réagir, c’est au consommateur de changer ses habitudes et de refuser d’acheter ce type de produits !
Coluche avait raison quand il disait, dans un sketch célèbre : « il faut arrêter de l’acheter pour plus que ça se vende »… Dans un autre registre, Gandhi dit aussi « incarne le changement que tu veux voir ds le monde » !
consoGlobe.com – Permaculteurs, agriculteurs, ingénieurs, institutions publiques ne devraient-ils pas prendre le temps de chercher ensemble des solutions, de combiner les compétences pour changer le système ?
Xavier Mathias : oui car l’entraide d’autrefois n’existe plus dans le monde agricole. Et l’agriculteur conventionnel se retrouve seul sur son champ, à ne produire qu’une seule céréale intensivement, sans même un rapport direct aux clients…
Remettre de l’humain, c’est donner une autre dimension à notre activité. Le problème des agriculteurs, c’est aussi un drame humain : il y a un suicide tous les deux jours dans cette profession, c’est un signal d’alerte énorme ! On doit faire évoluer le système, aussi pour ça !
consoGlobe.com – Aujourd’hui, peut-on vraiment vivre de la permaculture ?
Xavier Mathias : non, on ne peut pas en vivre, car la permaculture n’est pas un métier : avant d’être permaculteur, on est d’abord agriculteur ! C’est là qu’est le malentendu actuel : on présente la permaculture comme une activité professionnelle, mais à l’origine ce sont deux universitaires qui ne connaissaient rien à l’agriculture qui ont inventé ce concept en 1978…
Le titre de mon livre ne signifie pas que je suis tout acquis à la « permaculture » : j’ai un recul critique ! Ce que je trouve intéressant, c’est d’essayer de concevoir une explication agricole dérivée des principes de la permaculture. Mais je fais deux reproches à la médiatisation actuelle : donner l’impression que la permaculture est une affaire de « pros », et celle que n’importe qui peut s’y mettre. C’est là où achoppent beaucoup de projets, comme je le vois régulièrement en tant que formateur.
Connaître la « théorie » de la permaculture, faire un plan sur le papier, une projection de culture, ne dispense pas d’acquérir les savoirs et les gestes de base de la profession d’agriculteur. Il faut déjà apprendre à cultiver ! Sinon, il y a très peu de chances de réussite. On voit souvent des maçons construire leur maison sans architecte, mais l’inverse est beaucoup plus rare !
consoGlobe.com – Justement, les formations semblent faire beaucoup d’adeptes ces derniers temps. Qu’allons-nous faire de toutes ces aspirants permaculteurs alors que l’accès à la terre est si difficile ?
Xavier Mathias : excellente question ! Bien sûr, je suis ravi de voir autant d’élèves affluer dans nos formations… Dans les années 80, on ambitionnait d’être un homme d’affaires, aujourd’hui beaucoup de jeunes ambitionnent de revenir à la terre, c’est quand même plus réjouissant !
Mais il faut apporter du réalisme, sans être un briseur de rêves… Ce n’est pas simple. On est dans un contexte économique extrêmement compliqué pour la production, et encore plus pour des schémas de type maraîchage biologique sur petite surface… Beaucoup sont viables mais on a deux caractéristiques : il faut être extrêmement compétent… et capable d’assumer des temps de travail hebdomadaire à 70 heures, en renonçant à toutes vacances.
Il faudrait arriver à retrouver un rythme de travail supportable. Et rééquilibrer les aides économiques, qui vont aujourd’hui d’abord à ceux qui détruisent le capital écologique, mais aussi l’emploi. Alors qu’on est déjà dans une pratique agricole peu rentable – sans subventions, 70 % des exploitations agricoles agricoles fermeraient demain – on demande à un jeune porteur de projet écologique d’être encore plus performant pour pouvoir y arriver… Ce n’est pas logique.
Mais cela dit, je perçois depuis quatre ou cinq ans un changement radical dans les mentalités… qui donne de bonnes raisons d’espérer !
Illustration bannière : Permaculteur – © stefanolunardi
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